Durant deux automnes (2015- 2016), j’ai documenté l’industrie du cannabis en Californie. C’étaient les dernières années avant la légalisation à usage récréationnel et la régulation d’une culture initiée à la fin des années soixante par les hippies. S’inscrivant dans une idéologie de communauté libertaire et du mouvement Back-to-the-land, les montagnes leur offraient le moyen de fuir les logiques consuméristes, le Vietnam, ainsi que la possibilité de devenir auto-suffisant et de développer de nouvelles manières de faire société.
En 1996, le flou juridique amené par la légalisation de la production du cannabis médical, marque le début du “Green Rush”. De nombreux Américains s’installent en Californie pour se lancer dans la production, qui reste majoritairement distribuée illégalement à travers le pays. Peu à peu, par le bouche-à-oreilles, de nombreux jeunes migrent annuellement pour servir de main-d’oeuvre. Appelés “trimmigrants”, on estime qu’ils étaient plus de cent cinquante mille en 2015, la moitié venant de l’étranger, principalement d’Europe et du Canada.
Par une posture d’auto-documentation, j’ai consigné le quotidien des saisonniers d’une plantation reculée, en dehors de leur temps de travail. Ils sont venus de France, nourris par les récits de la conquête de l’Ouest, l’imaginaire beatnik, et l’idée de faire fortune pour financer une nouvelle année de voyage. Ils n’aspirent pas à lutter contre le système mais à profiter de ses interstices, en se créant des espaces de liberté dans les plis du libéralisme.
Trois ans plus tard, afin d’augmenter les photographies de leurs expériences des États-Unis, j’ai réalisé une série d’entretiens audiovisuels, ici présentés sous forme de texte invitant à une rencontre avec le mode de vie de saisonniers Nord-Nord, au sein de l’Amérique pastorale contemporaine.